L'Affaire Glozel
Le 1er mars 1924 en défrichant un champ avec son grand-père, un jeune cultivateur de 17 ans , du hameau de Glozel, près de Vichy (département de l'Allier, en Auvergne), Émile Fradin, mettait au jour des objets préhistoriques et des tablettes d'argile gravées d'inscriptions ressemblant à une écriture.
Les premiers objets ont été retrouvés
accidentellement dans une fosse où la vache d'Émile s'est enfoncée le
1er mars. Le lendemain cette fosse ovale est mise au jour par Émile et son
grand-père. Les parois de la fosse sont revêtues de briques à cupules, le sol
recouvert de dalles d'argile. Une première tablette est découverte
sans que l'on sache qu'elle est épigraphe (les signes étaient recouverts; après
avoir séché et avoir été nettoyée, elle livrera ces signes), des vases sont
cassés en étant sortis de terre. Les Fradin sont paysans, pas archéologues et
leurs méthodes de fouilles n'épargnent pas les premiers objets.
Les premières découvertes comprennent des empreintes de main sur des briques, une
brique avec des signes, une petite hache cassée en pierre, des
galets inscrits ou gravés d'animaux, des fragments de poterie, des aiguilles en
os et même un crâne. Tous les voisins fouillent ou viennent voir les
trouvailles, beaucoup ramènent des morceaux d'objets chez eux.
Deux ou trois semaines après, l'institutrice du village (Mlle Picandet de Ferrières sur Sichon) se rend à Glozel après avoir écouté parler de la trouvaille dans un café. L'inspection d'Académie ayant fait passer une note à tous les enseignants leur demandant de signaler toute découverte archéologique dans leur commune, la jeune institutrice s'intéresse immédiatement à Glozel.
Le rapport de l'institutrice est envoyé à l'inspecteur
d'Académie; la société d'Émulation du Bourbonnais et le société
bourbonnaise des études locales sont prévenues au mois de juin 1924.
Début juillet, la société d'Émulation du Bourbonnais dépêche sur place
l'instituteur de La Guillermie (commune voisine).
Ce M. Clément commence à fouiller, de manière peu
orthodoxe (certaines fois à la pioche, détruisant cette première
fosse), accompagné du procureur de Cusset, Viple, les deux hommes emmènent nombre d'objets avec eux. Tout cela dura quelques semaines; puis finalement
Viple fit part à Fradin que les objets étaient sans intérêt et qu'il valait
mieux remettre en culture le champ. Les Fradin s'exécutèrent. Il faut bien
comprendre que ce jeune paysan et sa famille n'ont pas eu la possibilité d'étudier
et ne peuvent pas mettre un nom sur les objets trouvés; ils se rangent donc
derrière l'avis de gens censés être plus instruits qu'eux.
Janvier 1925. M. Clément, s'attribue la découverte
de la brique d'Émile avec les signes en envoyant une lettre à la Société
d'Émulation du Bourbonnais, demandant une subvention pour des fouilles plus
organisées à Glozel. La subvention est refusée et ce refus est publié dans
le Bulletin de la Société de janvier/février 1925.
C'est à la lecture de cet article que le plus grand défenseur de Glozel (avec Émile
Fradin) prend connaissance de la découverte. En effet le docteur
Morlet, médecin féru d'archéologie et exerçant à Vichy, s'empresse
de se rendre chez M. Clément. Il y voit des objets fascinant et qui vont
changer le cours de sa vie. Désormais son nom sera indissociable de celui de
Glozel. Les deux hommes visitent, en avril 1925 le champ Duranthon où ont été
trouvés les objets. Morlet, spécialisé dans le gallo romain des villes
thermales, signale à Clément que les objets ne sont pas de cette époque et
que pour lui, ils sont beaucoup plus anciens. Étonnés de l'absence de tranchées
de fouilles (les trous ont été creusés au hasard), il décide de financer lui
même ces recherches. Fradin séduit par la proposition loue alors avec sa
famille le champ à Morlet. Morlet aura le droit de fouiller mais tous
les objets appartiendront à M. Fradin.
Docteur Morlet
Les fouilles de Morlet commencent en cette année 1925 et
se poursuivront jusqu'en 1936. De grands noms de l'archéologie
viennent fouiller à Glozel à l'invitation de Morlet; Capitan sera le
premier en juin 1925. Morlet publie en septembre le premier fascicule de Nouvelle
Station Néolithique. Les premiers articles de presse sont publiés dans Le
Matin en octobre 1925 et dans le Mercure de France en décembre.
Nouvelle Station Néolithique, était signé par son rédacteur Morlet, et
celui-ci avait associé le nom d'Émile Fradin (en tant que découvreur) au sien
dans le fascicule. Le fait choque alors les savants de l'époque, Capitan le
premier. Ce dernier demande à ce qu'on raye le nom de Fradin, et pourquoi ne pas
le remplacer par le sien puisqu'il est l'un des premiers à fouiller à Glozel.
Refus de Morlet, la guerre de Glozel commence.
L'emploi du terme de Néolithique choque l'opinion des savants.
Morlet l'emploie car pour lui, seul ce terme peut convenir : à côté de
gravures et de sculptures sur bois de renne, un travail nouveau de la pierre est
découvert sur place.
Morlet est confronté à la diversité des objets trouvés et surtout à leur
datation apparemment espacée. Une partie de la faune représentée sur les
galets et les objets en os et en ivoire appartient au Magdalénien (c'est à
dire au Paléolithique)mais le travail de ces objets les apparentent au Néolithique,
l'âge de pierre polie. Pour Morlet, Glozel est la transition entre ces deux époques.
Le problème c'est que les préhistoriens de ces années, estiment qu'il n'y a
pas de continuité entre les deux. Morlet contredit leurs théories.
Le médecin vichyssois présente ensuite un galet avec un renne gravé accompagné
de signes. Le renne ayant disparu de nos régions à l'époque du développement
de l'écriture, comment une représentation aussi parfaite de cet animal
a-t-elle pu être associée à des signes sans contredire l'ensemble des théories
établies sur cette invention de l'écriture. Morlet publie un article
parlant d'alphabet néolithique en avril 1926.
fouilles du comité
En deux années une centaine de tablettes à
signes a été découverte, une quinzaine avec des empreintes de mains, des
objets en pierre éclatée, en pierre polie, des céramiques, des idoles sexuées, des
galets gravés, des objets en verre, des objets en os et bois de cervidés.
Le gisement est très important et offrira environ 3000 objets.
La guerre de Glozel est déclarée, d'un côté les glozéliens de l'autre les anti-glozéliens. Certains savants changeront de camp, beaucoup seront convaincus après leurs visites ou leurs fouilles du site.
Les opposants parlent de faux, Émile Fradin est accusé d'être un escroc, un faussaire. L'argumentation ne tient pas du fait de la complexité de reproduction des objets. La patine est présente sur de nombreux objets, les briques ont une ancienneté certaine (aucune n'a pourra être reproduite à l'identique en laboratoire), les os sont trop anciens pour avoir été gravés par Fradin; les animaux sont gravés de manière très réaliste. La terre du champ de fouilles n'a pas été remaniée, les couches sont bien distinctes et non mélangées, des racines traversent des objets, il a été impossible à quiconque d'introduire une telle masse d'objets pour faire croire à l'existence d'un possible site archéologique; encore moins s'il s'agit d'un jeune paysan sans véritable formation scolaire et surtout sans but lucratif (M. Fradin refusera toujours de vendre ses objets). Émile Fradin traîné en justice sera donc innocenté de ces accusations de faux après de nombreux procès et de nombreux complots d'antiglozéliens.
Le problème reste toujours posé pour la datation des
objets. L'invention de l'écriture attribuée aux Phéniciens ( aux
alentours de 1600 avant JC) est remise en question par Morlet qui associe les
tablettes à signes aux objets néolithiques qu'il trouve à côté. Pour lui
cela ne fait aucun doute, les Glozéliens ont vécu ici pendant un temps très
important développant un système d'écriture avant celui des Phéniciens,
remettant en cause cette naissance de l'écriture en Orient et faisant de Glozel
ce lieu de naissance. Pour le vichyssois, Glozel est une civilisation à part
entière. On comprend pourquoi certains savants devant une théorie aussi
bouleversante ont élevé Glozel au rang de mystification pour éviter toute
remise en question de leurs études.
Il est à noter qu'en 1928, des fouilles se généralisent dans les
communes voisines et permettent la découverte d'autres objets de type glozélien.
Tout le monde campera sur ses positions jusque dans les années 40. Morlet décide d'interrompre les fouilles en 1936, laissant de nombreux secteurs vierges pour les générations futures de chercheurs et pour appliquer de nouvelles méthodes de fouilles.
Morlet meurt le 16 août 1965 à l'âge de 83 ans. (Émile Fradin a fêté ses 100 ans en 2006).
L'Affaire est terminée mais le mystère ne fait que commencer. Les nouvelles techniques d'analyses vont elles permettre une meilleure compréhension et surtout de dater de manière fiable les objets ?
Je conseille la lecture de Glozel et Ma Vie (Émile Fradin) et de la Préhistoire Chahutée (Joseph Grivel) pour connaître tous les points précis de l'Affaire.